« La sagesse des
prophètes » est souvent considéré comme le testament spirituel du grand maître soufi Ibn’Arabi. En voici quelques extraits.
« […] L’homme est à Dieu ce qu’est la pupille à l’œil (la pupille
s’appelle en arabe « l’homme dans l’œil »), la pupille étant ce par
quoi le regard s’effectue ; car par Lui (c’est-à-dire par l’Homme
universel) Dieu contemple Sa création et Lui dispense Sa miséricorde. Tel est
l’homme à la fois éphémère et éternel, être créé perpétuel et immortel, Verbe
discriminant (par la connaissance distinctive) et unissant (par son Essence
Divine). Par son existence, le monde fut achevé. […] »
« […] Le monde est à lui-même son propre voile, en sorte qu’il ne
peut pas voir Dieu du fait même qu’il se voit ; il ne peut jamais se
défaire par lui-même de son voile, tout en sachant qu’il se rattache, par sa
dépendance, à son Créateur. C’est que le monde ne participe pas à l’autonomie
de de l’Etre essentiel, si bien qu’il ne Le conçoit jamais. Sous ce rapport,
Dieu reste toujours inconnu, à l’intuition comme à la contemplation, car
l’éphémère n’a pas de prise sur cela (c’est -à-dire sur l’Eternel. […] »
« […] L’Ordre va de Lui vers toi et de toi cers Lui, bien que tu
sois l’ « obligé » (par la Loi révélée), et bien que Lui ne soit
pas « obligé » (par Sa propre Loi) ; et d’ailleurs, Il ne te
l’imposa (l’Ordre) que parce que tu le Lui as demandé, par ton état même et par
ce que tu es. »
« Il me loue, et je Le loue ;
Il me sert, et je Le sers.
Par mon existence je L’affirme ;
Et par ma détermination je Le nie ;
C’est Lui qui me connaît,
alors que je Le nie,
Puis je Le reconnais et je Le contemple.
Où est donc Son indépendance,
Alors que je Le glorifie et je L’aide ?
De même, dès que Dieu me manifeste,
Je Lui prête une science et je Le manifeste,
C’est ce que nous apprend le message Divin.
Et c’est en moi que Son vouloir s’accomplit. »
« […] Nous sommes à Lui,
comme l’établissent nos preuves,
Et nous sommes à nous ;
il n’est à Lui que mon existence,
de sorte que nous sommes à Lui
comme nous sommes par nous-mêmes.
J’ai deux faces : Lui et moi ;
Et Il n’est pas Son Moi en moi,
Mais Il y trouve Son lieu de manifestation.
Nous sommes donc pour Lui comme des récipients.
Dieu dit la Vérité et guide sur le droit chemin. »
« […] A tel moment le serviteur sera Seigneur (par l’Union), sans
doute ;
Et à tel moment le serviteur sera serviteur (par discrimination),
certainement.
S’il est serviteur, il est vaste par Dieu ;
Et s’il est Seigneur, il est dans une vie serrée. »
« En tant qu’il est serviteur, il voit sa propre Essence, et ses
espoirs s’élargissent à partir de Lui ; mais en tant qu’il est Seigneur
(par l’extinction de son individualité dans la Pure Lumière Intellectuelle), il
voit tout le cosmos, de la terre jusqu’aux anges, qui le demande, et il se voit
impuissant de satisfaire à leurs demandes par Lui-même (en tant qu’il reste
serviteur malgré sa résorption dans la Lumière Divine) […] »
« Sache que Celui qui est nommé Allâh est Un dans l’Essence et tout
par Ses Noms, et que tout être conditionné ne se rattache (comme tel) à Dieu
que par son propre Seigneur exclusivement ; car il est impossible que la
totalité (des Noms ou des aspects Divins) se rapporte à l’être particulier.
Pour ce qui est de l’Unité Divine, aucun n’en participe, car on ne peut pas en
désigner des aspects ; elle n’est pas sujette à la distinction. L’Unité de
Dieu intègre la totalité (des Noms et des Qualités) dans l’indifférenciation
principielle. Le « Bienheureux » est celui dont « le Seigneur
est content » ; or, il n’existe personne dont le propre Seigneur ne
soit pas content, car c’est par Lui (à savoir par cet être relatif) que sa
seigneurie subsiste ; tout être est donc « agréé » par son
Seigneur et (sous ce rapport) chacun est « Bienheureux ». C’est en
raison de ceci que Sahlat-Tostarî dit : « La seigneurie Divine
comporte un secret, et ce secret c’est toi-même » - il s’adresse à tout
individu -, « s’il pouvait se manifester (c’est-à-dire, s’il pouvait être
connu par autrui), la seigneurie serait abolie » (le
« Seigneur » de tel individu n’est donc autre chose que la
« personne », selon le sens du terme scolastique persona,
c’est-à-dire la réalité essentielle dont cet individu est l’expression
éphémère). […] »
« […] Il en va de même pour toute âme apaisée à laquelle s’adresse
la parole coranique : « Reviens à to Seigneur ! » :
« O toi, âme apaisée ! reviens à to Seigneur, contente et
agréée ; entre parmi Mes serviteurs, et entre dans Mon Paradis. […] »
Et voici résumé en neuf points l’essence même de l’enseignement d’Ibn’Arabi :
1 - Dieu est la Vérité absolue, l’unique source d’existence. En Lui, Etre
et existence font Un.
2 - Dieu est à la fois transcendant et immanent. Ce sont les deux aspects
fondamentaux de la Réalité telle que l’homme la connaît.
3 - L’univers possède un être relatif qui est à la fois éternel-existant
et temporel-non existant ; il est l’Un en tant qu’il existe dans la
Connaissance de Dieu, l’autre en tant qu’il est extérieur à Dieu.
4 - En tant que séparé de Dieu, l’Etre existe cependant en vertu de Sa
volonté. Il a pour agents les Noms Divins.
5 - Avant d’exister dans le monde phénoménal, les hommes étaient cachés
dans l’Esprit de Dieu et ne faisaient qu’Un avec l’Essence Divine.
6 - Une union avec Dieu au sens de devenir Un avec Dieu, cela n’existe
pas ; ce qui existe, c’est la prise de conscience du fait d’exister.
Savoir que le mystique est Un avec Dieu.
7 - Le Principe créateur, animateur et rationnel de l’univers est la
Vérité ou Réalité des réalités. Ce Principe trouve sa plus haute expression
dans l’Homme parfait.
8 - Chaque prophète est un Logos de Dieu. Le Logos Suprême est la Vérité
ou la Réalité des réalités. Tous les Logos individuels sont unis dans la
Vérité.
9 - L’Homme parfait est une miniature de la Réalité, il est le microcosme
dans lequel se reflètent tous les attributs parfaits du macrocosme. De la même
façon que la Vérité Suprême fut le Principe créateur de l’univers, l’Homme
parfait fut la cause de l’univers puisqu’il est l’épiphanie du désir que Dieu a
d’être connu ; car seul l’homme parfait connaît Dieu, aime Dieu et est
aimé de Dieu. C’est pour l’Homme exclusivement que le monde a été fait. »
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