21 octobre 2021

Le Chemin de la Foi

« Le Chemin de la Foi » est un petit ouvrage de l’écrivain Chrétien Emile Catzeflis. Dans ces quelques pages l’auteur nous parle des mystiques. (Extraits)


« Quelques-uns sentent que ce sont nos imperfections seules qui nous séparent du Divin Maître et, dans leur fervent désir de Le rejoindre, entreprennent courageusement le travail de purification nécessaire à la vie unitive.  Ces sont les mystiques. Ils peuvent appartenir à des religions extérieures connues, ou être des isolés, mais, dans l'un comme dans l'autre cas, ce qui les caractérise c'est qu'ils mettent en pratique les préceptes avec une énergie inlassable.  Ils ne prennent pas ces préceptes pour des approximations ou des métaphores, mais comme devant être appliqués jusqu'au sacrifice total. C'est dans la vérité du fait matériel qu'ils tourneront la joue gauche à celui qui les aura frappés sur la joue droite, en ce sens qu'ils opposeront toujours la douceur et l'humilité à la violence et à l'injure. Ils n'entreprendront pas de procès pour réclamer leur dû, pardonnant à leur pire ennemi et cherchant même à Lui rendre service. Faisant face à toutes leurs obligations familiales, professionnelles ou sociales, le temps qui leur restera, ils le consacreront aux pauvres et aux malades, demandant, en outre, pour ces patients, l'aide du Ciel par la prière qui absorbera une partie de leurs nuits. Pondérés et équilibrés en tout, joignant la prudence du serpent à la simplicité de la colombe, sans priver leurs foyers de la nourriture, du vêtement et du confort indispensable, ils prendront sur leur budget personnel, l'argent nécessaire pour secourir les malheureux. Comme ils sont constamment appliqués à combattre leurs propres défauts, ils ne s'apercevront pas de ceux du prochain et ne s'occuperont de Lui que pour Lui donner de leur bonheur. S'ils succombent, la charité clôt leurs lèvres : ils savent qu'ils sont tout aussi fragiles et que nul n'est impeccable. Lorsqu'ils font partie d'une religion ou d'une église donnée, ils en suivent les rites par obéissance et pour ne pas scandaliser les faibles. D'ailleurs, parce qu'ils appartiennent au Grand Berger, leur observance de ces rites communique à ceux-ci une vitalité nouvelle, car tout est vivant et se ressent du contact des vrais serviteurs. Ces derniers savent cependant que ce n'est pas par des pratiques de pure forme qu'ils s'unissent à leur Rédempteur, mais en gardant Ses commandements, comme Il l'a Lui-même affirmé, à diverses reprises, à Ses disciples. 

Toutefois, les voies de l'église peuvent paraître trop lentes à certaines âmes qui, alors, s'engagent, toutes seules, sur « l'étroit sentier ».  Ce sont les mystiques indépendants. Comme ils sont isolés et privés de secours extérieurs, le Christ leur envoie des guides spéciaux et les entoure invisiblement d'une particulière sollicitude, car le chemin qu'ils ont à parcourir est pénible, exposé aux dangers de toute sorte ; seulement, ils montent plus vite vers les sommets lumineux. « Quoi qu'il en soit, écrit Sédir, je n'oserais jamais conseiller de prendre la coursière ; ceux qui sont assez forts pour s'y engager, se décident tout seuls. Il y a le vertige, les terreurs nocturnes, les éboulements, des voleurs parfois, des fauves aussi. C'est là votre route, par où vous montez à l'assaut de la Divine Citadelle. Route inconnue, route glorieuse, route des solitudes et des solitaires, route des messagers de Lumière, des porteurs d'éternité, des martyrs de l'Idéal : puissions-nous, un jour, te gravir, dans cette détresse propice, dans cette agonie physique et mentale où brille, solitaire, la grande torche de l'Amour ! ». C'est ce dernier mot qui explique le mystère de ces êtres d'exception, le courage de leur vie de sacrifice, dans laquelle ils restent incompris de leur entourage, de leurs proches et souvent bafoués et ridiculisés. Ils pressentent un Amour infini au foyer duquel ils alimentent et rajeunissent leurs forces dépensées au service de tous. Ils ne sont pas toujours favorisés de visions ; souvent le Ciel les conduit par la foi nue, dépouillée de tout charme, de tout signe extérieur. C'est l'état le plus pénible pour eux, car ils s'immolent sans arrêt pour l'invisible Ami qui semble se cacher d'eux et les sevrer de toute douceur. Et cela peut durer ainsi des années !  Qu'ils persévèrent cependant. Si le Seigneur paraît les priver de dons de voyance ou autres, c'est pour qu'ils ne s'arrêtent pas aux mondes intermédiaires, qu'ils ne s'y complaisent pas, que leur cœur, dépouillé de toute nourriture sensible, se tenant dans la pauvreté mystique, se remplisse de Dieu seul.  Le jeûne spirituel rigoureux auquel ils auront été soumis, sera récompensé par le don magnifique de la foi, qui leur apportera, un jour, tous les dons et toutes les voyances en même temps, car la vraie foi c'est la descente du Verbe en eux.  C'est Lui qui, à ce moment-là, verra par leurs yeux, entendra par leurs oreilles et réalisera, par leur intermédiaire, la guérison des malades et la conversion des intelligences dévoyées. Leurs esprits, purifiés par une longue période d'ascèse morale, accoutumés par l'oraison à l'audition des paroles intérieures, seront devenus les souples instruments de l'Esprit. Heureux sont-ils et Bienheureux, car le Seigneur les a, de cette manière, préparés à recevoir le baptême définitif et à devenir les vrais enfants de Dieu, c'est-à-dire des Hommes libres.  La Divine sollicitude du Père les aura fait passer successivement, le long des siècles, d'un appartement invisible à un autre plus élevé.  Jusqu'à l'appartement le plus haut, jusqu'au Ciel proprement dit, domaine du Verbe incréé.  

Alors, quand le plan de la Création se sera tout entier dévoilé pour eux, ils comprendront quelle sagesse admirable y a présidé et leur reconnaissance sera infinie envers Celui qui a disposé toutes choses avec poids, nombre et mesure.  Depuis l'infiniment petit jusqu'à la resplendissante et gigantesque étoile, depuis le démon furibond qui vocifère jusqu'à l'archange radieux qui prie, aucun être n'existe qui n'ait sa place marquée et qui ne donne un son harmonieux dans cette immense symphonie de l'univers ; aucun qui n'ait son histoire de développement progressif et qui ne soit l'objet de la parfaite sollicitude Divine, comme s'il était seul au monde. Pensons, dans nos moments de solitude méditative, à ce miracle perpétuel de la Toute-Puissance et, de nous-mêmes, nous nous prosternerons dans l'adoration !  Songeons combien nous sommes las, nous, quand il nous arrive d'avoir, plus qu'à l'ordinaire, un certain nombre de personnes à recevoir ou à visiter et, en nous comparant à Celui dont la providence soutient les milliards et les milliards de créatures à la fois, nous sentirons combien Sa stature incommensurable nous dépasse, que dis-je ?  Combien elle nous montre l'évidence de notre néant ! Tous ces êtres reçoivent à temps les forces qui leur sont convenables, proportionnées à leur capacité réceptive, depuis les formes infimes dont l'aliment est encore, en grande partie, matériel, jusqu'aux formes radieuses dont la nourriture est devenue toute céleste, par l'accomplissement de la volonté du Père. Car toutes cherchent ou possèdent déjà Dieu, chacune à sa manière et selon son degré de compréhension et d'évolution. Pour nous limiter au spectacle de notre humanité terrestre et en restant sur le plan spirituel, quelle distance effroyable n'y a-t-il pas, par exemple, entre un détrousseur qui plonge son poignard dans le cœur d'un passant, pour Lui arracher une misérable monnaie et un Curé d'Ars qui va, au contraire, trouver, de nuit, son propre voleur pour le prévenir que la police le cherche et Lui faciliter son évasion !  Et pourtant Dieu nourrit l'un et l'autre, selon les besoins de l'heure.  Quelle variété, quelle largesse, quelle profusion dans les moyens qu'Il a mis à notre portée pour nous efforcer vers Lui !   Ici c'est le savant penché sur ses cornues ; là, le philosophe médite et l'érudit fouille les vieux textes. Voici le rabbin squelettique qui tourne les pages du Talmud, en pensant au Messie promis à Israël ; en Perse et en Egypte, le moullah et le cheikh enturbanné psalmodient les versets du Coran devant des disciples respectueusement accroupis et qui balancent le torse dans des gestes harmonieux.  Et dans l'Orient plus lointain, les aspirants au « Yoga », isolés dans des sites sauvages, se livrent aux terribles exercices du « tcheud », en évoquant les esprits démoniaques, dans des combats dont nous ne pouvons avoir aucune idée et à l'issue desquels plusieurs d'entre eux trouvent effectivement la mort !  Voici, enfin, au fond des monastères, les moines silencieux plongés dans l'oraison, tandis que les religieuses cloîtrées adorent, jusqu'à l'aube, agenouillées devant les autels !  Et tout cela sur notre globe minuscule, Lui-même perdu au milieu des astres sans nombre où d'autres humanités reproduisent, sans nul doute, des gestes analogues de désir et d'adoration !  O mystère des mystères !  A ce spectacle immense et pathétique du monde, si vous y avez songé, n'éprouvez-vous donc pas une sainte terreur ?  Ne sentez-vous pas qu'au centre de toutes ces poitrines brûlantes, dans ces cœurs ardents tendus vers l'incompréhensible Idéal, au front de ces savants qu'écrase la grande énigme universelle, dans l'œil de l'artiste ébloui des reflets de l'éternelle Beauté, dans la substance de tout être enfin qui s'efforce et qui cherche, sans trop savoir d'ailleurs pourquoi, c'est le même adorable Seigneur qui vit, au fond de chacun, Celui-là même qui a dit :  « Ce que vous avez fait au plus petit d'entre mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » ?   Oui, c'est Lui l'immuable Architecte des univers, l'Ancien des jours, l'Auteur éternel de toute existence, la Source de toute beauté, de toute vérité, de tout bien. Invisible à nos yeux de chair, puisqu' Il est Esprit, transcendant tous nos moyens d'investigation, étant Lui-même inconditionné, les plus vastes intelligences ne font que refléter de faibles rayons de ce Soleil à l'incomparable et infinie splendeur. Et si, à toutes forces, elles veulent en saisir davantage, elles ne peuvent que s'abattre en avouant leur impuissance. Foyer inextinguible d'incandescent Amour, Il embrase les cœurs, dans la mesure où ils se laissent incendier, et quand ils sont revenus de toutes leurs illusions, dépouillés de toutes leurs attaches terrestres, d'un coup d'aile, Il les assume jusqu'à la Gloire. Trésor d'inépuisable pitié, c'est Lui qui se penche sur la veuve éplorée, sur la mère brisée par la perte de son enfant, pour leur verser le baume de la consolation et de l'espoir.  Au fond des cœurs abattus, Il parle un langage inaudible qui les fait se ressaisir et reprendre courage. Sa lumière ne s'éteint, d'ailleurs, jamais tout à fait ; même chez le plus noir criminel, elle reste là recouverte des cendres grossières de l'égoïsme et de la cruauté, jusqu'à ce que le vent de la douleur et du remords dissipe ces poussières superficielles ; alors la braise intérieure se rallume et attise dans la conscience de cet égaré le feu de la contrition ; plus il aura été loin dans le culte de soi et la haine des autres, plus il voudra s'enflammer d'Amour pour eux. Quel est donc l'Auteur anonyme de ce mystérieux drame du repentir, répété des milliards de fois sur des milliards de scènes différentes ?  Qui est-ce qui verse l'eau de la compassion dans nos cœurs insensibles et allume dans nos poitrines glacées l'ardeur du sacrifice ?  Quelle est cette Main formidable qui, si Elle règle les vibrations universelles, les courants des forces cosmiques et la course des astres géants, ne dédaigne pas de protéger la plus humble fleur sur sa frêle tige, et de sauvegarder l'innocent insecte contre les dangers de toute sorte qui menacent sa pauvre et obscure existence ?  Eh bien !  C'est cette même Main providentielle qui prend également nos esprits frustes et, comme la vague fait du galet, les travaille, le long des siècles, jusqu'à ce qu'Elle en ait fait des êtres de Lumière et d'Amour !   Ne cherchons pas à voir ce Dieu par les yeux de notre intelligence si courte, qui ne sait même pas de quoi demain sera fait et qui se trompe sur les choses les plus vulgaires de notre existence de tous les jours.  Adorons plutôt Sa parole et efforçons-nous de La réaliser totalement et c'est Son Verbe éternel, un avec Lui, qui prononcera alors en nous les paroles définitives : à ce moment-là, nous verrons Son indicible présence, nous entendrons Son adorable langage. Ne courons pas après les faits dits merveilleux ; n'essayons même pas de voir des miracles authentiques.  Quand nous en aurions constaté un, il nous en faudrait encore d'autres, pour confirmer le premier et cela nous détournerait de l'immense miracle qui nous entoure de toute part et que, aveuglés que nous sommes par le souci de nous-mêmes, nous n'apercevons pas. Si nous faisions taire toutes les voix de l'orgueil en nous, nous entendrions l'« Ami » qui est là, qui frappe à la porte de notre cœur et qui nous répète :

 « Heureux les pauvres en esprit,
 «  Heureux ceux qui pleurent,
 «  Heureux les débonnaires,
 «  Heureux les affamés de justice,
 «  Heureux les miséricordieux,
 «  Heureux ceux dont le cœur est pur,
 «  Heureux les pacificateurs,
 «  Heureux les affligés et persécutés pour la justice. » 

Quand nous aurons vraiment entendu ces paroles, car la foi vient par l'ouïe, quand nous les aurons incorporées dans notre vie, quand elles seront devenues la substance même de notre chair et de notre sang spirituels, un jour ou plutôt au milieu d'une de ces terribles nuits de désolation que connaissent parfois les mystiques, le Très Miséricordieux nous dira : « Venez maintenant hériter le Royaume qui vous a été préparé dès le début, ainsi qu'il a plu au Père de vous le donner ! »

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