« Le Chemin de la Foi »
est un petit ouvrage de l’écrivain Chrétien Emile Catzeflis. Dans ces quelques
pages l’auteur nous parle des mystiques. (Extraits)
« Quelques-uns
sentent que ce sont nos imperfections seules qui nous séparent du Divin Maître
et, dans leur fervent désir de Le rejoindre, entreprennent courageusement le
travail de purification nécessaire à la vie unitive. Ces sont les
mystiques. Ils peuvent appartenir à des religions extérieures connues, ou être
des isolés, mais, dans l'un comme dans l'autre cas, ce qui les caractérise
c'est qu'ils mettent en pratique les préceptes avec une énergie
inlassable. Ils ne prennent pas ces préceptes pour des approximations ou
des métaphores, mais comme devant être appliqués jusqu'au sacrifice
total. C'est dans la vérité du fait matériel qu'ils tourneront la joue
gauche à celui qui les aura frappés sur la joue droite, en ce sens qu'ils
opposeront toujours la douceur et l'humilité à la violence et à l'injure. Ils
n'entreprendront pas de procès pour réclamer leur dû, pardonnant à leur pire
ennemi et cherchant même à Lui rendre service. Faisant face à toutes leurs
obligations familiales, professionnelles ou sociales, le temps qui leur restera,
ils le consacreront aux pauvres et aux malades, demandant, en outre, pour ces
patients, l'aide du Ciel par la prière qui absorbera une partie de leurs
nuits. Pondérés et équilibrés en tout, joignant la prudence du serpent à
la simplicité de la colombe, sans priver leurs foyers de la nourriture, du
vêtement et du confort indispensable, ils prendront sur leur budget personnel,
l'argent nécessaire pour secourir les malheureux. Comme ils sont
constamment appliqués à combattre leurs propres défauts, ils ne s'apercevront pas
de ceux du prochain et ne s'occuperont de Lui que pour Lui donner de leur
bonheur. S'ils succombent, la charité clôt leurs lèvres : ils savent
qu'ils sont tout aussi fragiles et que nul n'est impeccable. Lorsqu'ils
font partie d'une religion ou d'une église donnée, ils en suivent les rites par
obéissance et pour ne pas scandaliser les faibles. D'ailleurs, parce
qu'ils appartiennent au Grand Berger, leur observance de ces rites communique à
ceux-ci une vitalité nouvelle, car tout est vivant et se ressent du contact des
vrais serviteurs. Ces derniers savent cependant que ce n'est pas par des
pratiques de pure forme qu'ils s'unissent à leur Rédempteur, mais en gardant
Ses commandements, comme Il l'a Lui-même affirmé, à diverses reprises, à Ses
disciples.
Toutefois,
les voies de l'église peuvent paraître trop lentes à certaines âmes qui, alors,
s'engagent, toutes seules, sur « l'étroit sentier ». Ce sont les
mystiques indépendants. Comme ils sont isolés et privés de secours
extérieurs, le Christ leur envoie des guides spéciaux et les entoure
invisiblement d'une particulière sollicitude, car le chemin qu'ils ont à
parcourir est pénible, exposé aux dangers de toute sorte ; seulement, ils
montent plus vite vers les sommets lumineux. « Quoi qu'il en soit, écrit
Sédir, je n'oserais jamais conseiller de prendre la coursière ; ceux qui
sont assez forts pour s'y engager, se décident tout seuls. Il y a le
vertige, les terreurs nocturnes, les éboulements, des voleurs parfois, des
fauves aussi. C'est là votre route, par où vous montez à l'assaut de la
Divine Citadelle. Route inconnue, route glorieuse, route des solitudes et
des solitaires, route des messagers de Lumière, des porteurs d'éternité, des
martyrs de l'Idéal : puissions-nous, un jour, te gravir, dans cette détresse
propice, dans cette agonie physique et mentale où brille, solitaire, la grande
torche de l'Amour ! ». C'est ce dernier mot qui explique le mystère de ces
êtres d'exception, le courage de leur vie de sacrifice, dans laquelle ils
restent incompris de leur entourage, de leurs proches et souvent bafoués et
ridiculisés. Ils pressentent un Amour infini au foyer duquel ils
alimentent et rajeunissent leurs forces dépensées au service de tous. Ils
ne sont pas toujours favorisés de visions ; souvent le Ciel les conduit
par la foi nue, dépouillée de tout charme, de tout signe extérieur. C'est
l'état le plus pénible pour eux, car ils s'immolent sans arrêt pour l'invisible
Ami qui semble se cacher d'eux et les sevrer de toute douceur. Et cela
peut durer ainsi des années ! Qu'ils persévèrent cependant. Si
le Seigneur paraît les priver de dons de voyance ou autres, c'est pour qu'ils
ne s'arrêtent pas aux mondes intermédiaires, qu'ils ne s'y complaisent pas, que
leur cœur, dépouillé de toute nourriture sensible, se tenant dans la pauvreté
mystique, se remplisse de Dieu seul. Le jeûne spirituel rigoureux
auquel ils auront été soumis, sera récompensé par le don magnifique de la foi,
qui leur apportera, un jour, tous les dons et toutes les voyances en même temps,
car la vraie foi c'est la descente du Verbe en eux. C'est Lui qui, à ce
moment-là, verra par leurs yeux, entendra par leurs oreilles et réalisera, par
leur intermédiaire, la guérison des malades et la conversion des intelligences
dévoyées. Leurs esprits, purifiés par une longue période d'ascèse morale,
accoutumés par l'oraison à l'audition des paroles intérieures, seront devenus
les souples instruments de l'Esprit. Heureux sont-ils et Bienheureux, car
le Seigneur les a, de cette manière, préparés à recevoir le baptême définitif
et à devenir les vrais enfants de Dieu, c'est-à-dire des Hommes libres.
La Divine sollicitude du Père les aura fait passer successivement, le long des
siècles, d'un appartement invisible à un autre plus élevé. Jusqu'à
l'appartement le plus haut, jusqu'au Ciel proprement dit, domaine du Verbe
incréé.
Alors,
quand le plan de la Création se sera tout entier dévoilé pour eux, ils
comprendront quelle sagesse admirable y a présidé et leur reconnaissance sera
infinie envers Celui qui a disposé toutes choses avec poids, nombre et
mesure. Depuis l'infiniment petit jusqu'à la resplendissante et
gigantesque étoile, depuis le démon furibond qui vocifère jusqu'à l'archange
radieux qui prie, aucun être n'existe qui n'ait sa place marquée et qui ne donne
un son harmonieux dans cette immense symphonie de l'univers ; aucun qui
n'ait son histoire de développement progressif et qui ne soit l'objet de la
parfaite sollicitude Divine, comme s'il était seul au monde. Pensons,
dans nos moments de solitude méditative, à ce miracle perpétuel de la
Toute-Puissance et, de nous-mêmes, nous nous prosternerons dans l'adoration
! Songeons combien nous sommes las, nous, quand il nous arrive d'avoir,
plus qu'à l'ordinaire, un certain nombre de personnes à recevoir ou à visiter
et, en nous comparant à Celui dont la providence soutient les milliards et les
milliards de créatures à la fois, nous sentirons combien Sa stature
incommensurable nous dépasse, que dis-je ? Combien elle nous montre
l'évidence de notre néant ! Tous ces êtres reçoivent à temps les forces
qui leur sont convenables, proportionnées à leur capacité réceptive, depuis les
formes infimes dont l'aliment est encore, en grande partie, matériel, jusqu'aux
formes radieuses dont la nourriture est devenue toute céleste, par
l'accomplissement de la volonté du Père. Car toutes cherchent ou possèdent
déjà Dieu, chacune à sa manière et selon son degré de compréhension et
d'évolution. Pour nous limiter au spectacle de notre humanité terrestre et
en restant sur le plan spirituel, quelle distance effroyable n'y a-t-il pas,
par exemple, entre un détrousseur qui plonge son poignard dans le cœur d'un
passant, pour Lui arracher une misérable monnaie et un Curé d'Ars qui va, au
contraire, trouver, de nuit, son propre voleur pour le prévenir que la police
le cherche et Lui faciliter son évasion ! Et pourtant Dieu nourrit
l'un et l'autre, selon les besoins de l'heure. Quelle variété, quelle
largesse, quelle profusion dans les moyens qu'Il a mis à notre portée pour nous
efforcer vers Lui ! Ici c'est le savant penché sur ses cornues
; là, le philosophe médite et l'érudit fouille les vieux
textes. Voici le rabbin squelettique qui tourne les pages du Talmud, en
pensant au Messie promis à Israël ; en Perse et en Egypte, le moullah et
le cheikh enturbanné psalmodient les versets du Coran devant des disciples
respectueusement accroupis et qui balancent le torse dans des gestes
harmonieux. Et dans l'Orient plus lointain, les aspirants au « Yoga »,
isolés dans des sites sauvages, se livrent aux terribles exercices du « tcheud
», en évoquant les esprits démoniaques, dans des combats dont nous ne pouvons
avoir aucune idée et à l'issue desquels plusieurs d'entre eux trouvent
effectivement la mort ! Voici, enfin, au fond des monastères, les moines
silencieux plongés dans l'oraison, tandis que les religieuses cloîtrées
adorent, jusqu'à l'aube, agenouillées devant les autels ! Et tout
cela sur notre globe minuscule, Lui-même perdu au milieu des astres sans nombre
où d'autres humanités reproduisent, sans nul doute, des gestes analogues de
désir et d'adoration ! O mystère des mystères ! A ce spectacle
immense et pathétique du monde, si vous y avez songé, n'éprouvez-vous donc pas
une sainte terreur ? Ne sentez-vous pas qu'au centre de toutes ces
poitrines brûlantes, dans ces cœurs ardents tendus vers l'incompréhensible
Idéal, au front de ces savants qu'écrase la grande énigme universelle, dans
l'œil de l'artiste ébloui des reflets de l'éternelle Beauté, dans la substance
de tout être enfin qui s'efforce et qui cherche, sans trop savoir d'ailleurs
pourquoi, c'est le même adorable Seigneur qui vit, au fond de chacun, Celui-là
même qui a dit : « Ce que vous avez fait au plus petit d'entre mes
frères, c'est à moi que vous l'avez fait » ? Oui, c'est Lui
l'immuable Architecte des univers, l'Ancien des jours, l'Auteur éternel de
toute existence, la Source de toute beauté, de toute vérité, de tout
bien. Invisible à nos yeux de chair, puisqu' Il est Esprit, transcendant
tous nos moyens d'investigation, étant Lui-même inconditionné, les plus vastes
intelligences ne font que refléter de faibles rayons de ce Soleil à
l'incomparable et infinie splendeur. Et si, à toutes forces, elles veulent en
saisir davantage, elles ne peuvent que s'abattre en avouant leur
impuissance. Foyer inextinguible d'incandescent Amour, Il embrase les
cœurs, dans la mesure où ils se laissent incendier, et quand ils sont revenus
de toutes leurs illusions, dépouillés de toutes leurs attaches terrestres, d'un
coup d'aile, Il les assume jusqu'à la Gloire. Trésor d'inépuisable pitié,
c'est Lui qui se penche sur la veuve éplorée, sur la mère brisée par la perte
de son enfant, pour leur verser le baume de la consolation et de
l'espoir. Au fond des cœurs abattus, Il parle un langage inaudible qui
les fait se ressaisir et reprendre courage. Sa lumière ne s'éteint,
d'ailleurs, jamais tout à fait ; même chez le plus noir criminel, elle
reste là recouverte des cendres grossières de l'égoïsme et de la cruauté,
jusqu'à ce que le vent de la douleur et du remords dissipe ces poussières
superficielles ; alors la braise intérieure se rallume et attise dans la
conscience de cet égaré le feu de la contrition ; plus il aura été loin
dans le culte de soi et la haine des autres, plus il voudra s'enflammer d'Amour
pour eux. Quel est donc l'Auteur anonyme de ce mystérieux drame du
repentir, répété des milliards de fois sur des milliards de scènes différentes
? Qui est-ce qui verse l'eau de la compassion dans nos cœurs insensibles
et allume dans nos poitrines glacées l'ardeur du sacrifice ? Quelle est
cette Main formidable qui, si Elle règle les vibrations universelles, les
courants des forces cosmiques et la course des astres géants, ne dédaigne pas
de protéger la plus humble fleur sur sa frêle tige, et de sauvegarder
l'innocent insecte contre les dangers de toute sorte qui menacent sa pauvre et
obscure existence ? Eh bien ! C'est cette même Main providentielle
qui prend également nos esprits frustes et, comme la vague fait du galet, les
travaille, le long des siècles, jusqu'à ce qu'Elle en ait fait des êtres de
Lumière et d'Amour ! Ne cherchons pas à voir ce Dieu par les yeux
de notre intelligence si courte, qui ne sait même pas de quoi demain sera fait
et qui se trompe sur les choses les plus vulgaires de notre existence de tous
les jours. Adorons plutôt Sa parole et efforçons-nous de La réaliser
totalement et c'est Son Verbe éternel, un avec Lui, qui prononcera alors en
nous les paroles définitives : à ce moment-là, nous verrons Son indicible présence,
nous entendrons Son adorable langage. Ne courons pas après les faits dits
merveilleux ; n'essayons même pas de voir des miracles authentiques.
Quand nous en aurions constaté un, il nous en faudrait encore d'autres, pour
confirmer le premier et cela nous détournerait de l'immense miracle qui nous
entoure de toute part et que, aveuglés que nous sommes par le souci de
nous-mêmes, nous n'apercevons pas. Si nous faisions taire toutes les voix
de l'orgueil en nous, nous entendrions l'« Ami » qui est là, qui frappe à la
porte de notre cœur et qui nous répète :
« Heureux les pauvres en
esprit,
« Heureux ceux qui pleurent,
« Heureux les débonnaires,
« Heureux les affamés de justice,
« Heureux les miséricordieux,
« Heureux ceux dont le cœur est pur,
« Heureux les pacificateurs,
« Heureux les affligés et persécutés pour la justice. »
Quand nous
aurons vraiment entendu ces paroles, car la foi vient par l'ouïe, quand nous
les aurons incorporées dans notre vie, quand elles seront devenues la substance
même de notre chair et de notre sang spirituels, un jour ou plutôt au milieu
d'une de ces terribles nuits de désolation que connaissent parfois les
mystiques, le Très Miséricordieux nous dira : « Venez maintenant hériter le
Royaume qui vous a été préparé dès le début, ainsi qu'il a plu au Père de vous
le donner ! »